Les nouvelles méthodes de sélection amenées à durer
Le Parlement suisse s’est prononcé en faveur d’une actualisation du moratoire sur le génie génétique, en vigueur depuis 2005. Cette étape était devenue indispensable. À l’occasion d’un webinaire organisé par swiss-food.ch, des spécialistes des sciences et de l’agriculture se sont exprimés au sujet de l’utilité des nouvelles méthodes de sélection biotechnologiques. Il est apparu que, si les risques sont faibles, les possibilités sont énormes.
vendredi 4 mars 2022
On entend souvent dire que l’édition du génome n’est pas naturelle. «Mais que signifie le terme naturel dans ce contexte?», interroge Detlef Weigel, directeur du département de biologie moléculaire à l’Institut Max Planck de biologie à Tübingen. Dans la réalité, le distinguo entre plantes «naturelles» et plantes «artificielles» est presque un sujet vain. Le maïs tel que nous le connaissons aujourd’hui par exemple provient d’une mauvaise herbe appelée «téosinte». À l’origine, cette mauvaise herbe comptait beaucoup moins de grains que les épis auxquels nous sommes habitués à présent. Nos plantes utiles actuelles n’ont à vrai dire plus grand chose en commun avec leurs ancêtres. Elles sont le fruit de centaines d’années de sélection agricole pratiquée par l’homme.
Ils reposent sur des mutations dans les gènes des plantes, qui ont été sélectionnées sciemment ou involontairement. Même des plantes en apparence identiques présentent de nombreuses différences génétiques. «Il y a des mutants partout!», affirme Weigel. On décompte dans chaque grain de blé environ 200 mutations aléatoires par génération. Ce qui donne sur un champ de blé d’un hectare quelque 40 milliards de mutations par récolte. Il n’existe pas deux plantes identiques. Toutes sont des mutantes. L’édition du génome permet de reproduire avec précision des mutations qui surviennent de manière aléatoire dans la nature: «Une mutation reste une mutation», explique le professeur Weigel. Peu importe qu’elle ait été opérée avec les ciseaux génétiques ou qu’elle soit le fruit du hasard.
Des plantes saines, moins de produits phytosanitaires
Theresa Koller, chercheuse à l’Université de Zurich, tente de comprendre comment les plantes peuvent se défendre contre les maladies. Les plantes possèdent des gènes de résistance aux maladies qui produisent la protéine spécifique à cette défense. Les chercheurs essaient d’identifier ces gènes de résistance afin de pouvoir ensuite les introduire dans une plante de culture par le biais de nouvelles méthodes de sélection. Dans le cadre de ses travaux, Theresa Koller a étudié le cas de maïs doté d’un gène de résistance aux maladies fongiques. Si l’objectif premier est de préserver la santé de la plante, il ne faut pas oublier non plus qu’une meilleure résistance à la maladie permet de réduire le recours aux pesticides. Theresa Koller sait que les biotechnologies vertes suscitent des craintes chez certaines personnes. Mais la chercheuse souligne que la culture des plantes ne constitue aucun danger pour l’homme ni pour l’environnement. «Les risques sont quasi-nuls, alors que les opportunités sont au contraire très grandes», déclare-t-elle.
Au vu des avancées scientifiques et des nouvelles connaissances acquises, le moratoire sur le génie génétique n’a selon elle plus lieu d’être. On en sait aujourd’hui nettement plus long sur le matériel génétique des plantes utiles qu’il y a encore 20 ans. Le matériel génétique de la plupart des plantes utiles a désormais été décodé. Et les méthodes pour y parvenir sont de moins en moins chères et au contraire toujours plus rapides et précises. Les ciseaux génétiques CRISPR/Cas9 sont en outre une méthode nettement plus précise pour modifier le matériel génétique des plantes. L’expérience en matière de culture de ces plantes a elle aussi augmenté partout dans le monde. On sait aujourd’hui que la culture de plantes génétiquement modifiées ne constitue aucun danger pour l’homme ni pour l’environnement. La chercheuse explique que l’édition du génome est beaucoup plus précise que les méthodes de sélection traditionnelles, qui misent sur des produits chimiques ou un traitement radioactif des plantes (mutagénèse aléatoire). Il lui semble donc tout à fait pertinent de soumettre l’édition du génome à la même réglementation que la mutagénèse, autorisée par la loi et utilisée même dans l’agriculture biologique. Une simplification du processus d’autorisation pour de nouvelles sélections permettrait en outre à l’avenir à de petites start-ups et à des PME de cultiver des plantes à l’aide de ces nouvelles méthodes. Contrairement au génie génétique du passé, même une personne travaillant seule peut modifier une variété au moyen de ces nouvelles méthodes.
Des opportunités dans la pratique
Le cultivateur et producteur de fruits Beat Lehner a franchi le cap de la théorie à la pratique. Selon lui, la sélection végétale ne va faire que gagner en importance tandis que les produits phytosanitaires continueront d’être confrontés à une forte pression. Bon nombre d’entre eux seront retirés du marché. En outre, le changement climatique pèse sur les conditions de culture: «Nous avons besoin à l’avenir de toutes les composantes nécessaires à la production de fruits», déclare-t-il. Mais la sélection d’une nouvelle variété de fruits peut prendre des années, voire des dizaines d’années. Les premières pommes résistantes aux incendies, sélectionnées à la suite des dégâts dévastateurs de 2007, n’arrivent sur le marché qu’aujourd’hui, soit 15 ans plus tard. L’édition du génome permettra d’accélérer le rythme de mise sur le marché de nouvelles variétés résistantes aux maladies. Pour autant, elle ne signe pas la fin des méthodes de sélection classiques. «Elle permet simplement de réagir plus vite et de manière plus ciblée», précise Beat Lehner. Du reste, il est essentiel pour le cultivateur de pouvoir «perfectionner» des variétés standards existantes. Sans compter que des variétés résistantes entraînent des quantités inférieures de fruits pourris et réduisent donc le gaspillage alimentaire.
Pour Beat Lehner, l’optimisation de sortes connues constitue autant d’applications concrètes de ces nouvelles méthodes. Les fruits sont en effet commercialisés en tant que variétés. Les consommateurs s’habituent à certaines variétés et achètent avant tout celles qu’ils connaissent. Beat Lehner espère que l’édition du génome permettra d’améliorer des sortes déjà sur le marché, en les rendant par exemple résistantes au mildiou. Il entrevoit également des possibilités d’augmenter la faculté de conservation des produits. Meilleure elle est, plus le gaspillage alimentaire diminue. Parallèlement, il relève des incohérences au niveau de la législation. Il trouve notamment aberrant que la mutagénèse, qui implique le recours à des produits chimiques ou à un traitement radioactif pour déclencher des mutations, soit autorisée alors que les ciseaux génétiques, pourtant bien plus précis, sont interdits au motif qu’ils relèvent de la loi sur le génie génétique. Cela dit, pour Beat Lehner, il y a encore un gros travail de sensibilisation à fournir auprès des consommateurs. «Pour gagner la confiance des consommateurs dans de tels produits, nous devons impérativement faire des efforts de communication. Nous devons leur expliquer clairement ce que nous faisons, en toute transparence», affirme-t-il.
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